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Episode pluvio-orageux en Espagne
Fin octobre 2024, des orages stationnaires et une activité électrique intense ont aggravé les inondations dans la région de Valence. Lisez notre analyse pour comprendre cet événement météo extrême.
La région de Valence en Espagne a été frappée par un événement pluvieux d’une intensité exceptionnelle fin octobre et début novembre 2024, à la suite d’une alerte rouge émise par l’AEMET, l’Agence météorologique nationale espagnole.
Un phénomène météorologique connu sous le nom de “goutte froide” a provoqué des précipitations record, entraînant des inondations dévastatrices.
Les orages stationnaires et une activité électrique intense ont aggravé la situation.
Le changement climatique, avec des températures de la Méditerranée plus élevées et une atmosphère plus humide, a contribué à l’intensité de cet événement.
Découvrez notre analyse complète.
Analyse
Episode pluvio-orageux en Espagne
du 25 octobre au 4 novembre 2024
Par Joris Royet, Chef de projet Météo, METEORAGE
Contexte météorologique
Cet épisode, bien que majeur, relève d’une situation atmosphérique assez classique dans cette zone en période automnale. Une fois que l’automne débute, les conflits de masse d’air se mettent en place entre des descentes d’air froid en direction des basses latitudes et l’air chaud résistant dans ces dites latitudes.
En cette fin octobre 2024, on a de l’air très froid qui plonge jusqu’au Maroc, avec jusqu’à -25°C à environ 5 000 mètres d’altitude. Cet air froid rencontre de l’air beaucoup plus chaud, remontant de Méditerranée, air également chargé en humidité.
L’épisode commence par un talweg (branche dépressionnaire) s’approchant de l’Europe de l’Ouest en cette fin octobre (figure 1 montrant le géopotentiel à 500 hPa, modèle ARPEGE), il apporte alors beaucoup d’instabilité sur les pays d’Europe de l’Ouest et la France notamment avec une activité électrique importante sur une moitié Sud du pays. On parle même d’un épisode Cévenol majeur qui s’est déroulé autour du 25 octobre (figure 2).
Quelques jours plus tard, cette branche dépressionnaire se détache du courant Jet (courant principal d’Ouest en Est, situé aux hautes latitudes) et plonge encore plus bas jusqu’à atteindre la Péninsule Ibérique le 27 octobre. Étant détachée du courant principal, il ne s’agit plus d’un talweg mais d’une goutte froide. Cette dernière est désormais piégée au milieu des hautes pressions (anticyclones) présentes sur une grande partie de l’Europe (figure 3 montrant le géopotentiel à 500 hPa, modèle ARPEGE).
Cette goutte froide autrement surnommée « DANA » pour « Depresión Aislada en Niveles Altos» reste bloquée pendant plusieurs jours vers le détroit de Gibraltar. Elle engendre des remontées pluvio-orageuses, causant de nombreuses inondations sur la partie Est de l’Espagne, située à l’avant de cette goutte froide (figure 4).
Chronologie des événements
Ce talweg, devenant par la suite une goutte froide, a causé bien des dégâts lors de son passage et pas uniquement en Espagne. Retour sur la chronologie des évènements.
OCTOBRE
Le talweg de grande longueur d’onde est responsable d’une vaste dégradation orageuse sur une grande partie de l’Espagne et de la mer Méditerranée, on parle d’orages préfrontaux car ils se forment à l’avant du front froid par soulèvement frontal de la masse d’air. Ils se déplacent d’Ouest en Est et atteignent la Sicile et le Sud-Est de la France durant la journée du 26 octobre (figure 5).
OCTOBRE
En plus de la vague orageuse qui déferle entre Espagne et Sicile, des pluies intenses touchent le Sud-Est de la France, en flux de Sud. L’orientation du flux engendre un blocage sur les Cévennes, d’où le terme employé d’épisode Cévenol. On dépasse localement les 300 mm de pluie dans le Var (83). Pour rappel, cet épisode Cévenol survient une semaine après un épisode majeur sur ce même secteur.
OCTOBRE
Les Cévennes ne sont pas les seules touchées lors de cet épisode, les Pyrénées Orientales reçoivent « enfin » des pluies dignes de ce nom. Plus de 130 mm relevés à Perpignan dans la nuit du 28 au 29 octobre (figure 6). Il est tombé en 24h la moitié du cumul de l’année 2023 dans cette ville. L’ensemble du département est touché, ce qui constitue LA bonne nouvelle de cet épisode.
Pour rappel, les Pyrénées Orientales font face à une sécheresse chronique depuis maintenant près de 3 ans. Ces pluies sont donc les bienvenues dans le département.
OCTOBRE
Le plus gros de l’épisode en Espagne commence. La goutte froide, alors placée entre le Maroc et l’Andalousie, génère de puissantes remontées pluvio-orageuses sur l’Est de l’Espagne. Les modélisations entrevoient jusqu’à 400 mm dans le secteur, il en tombera près de 500 mm. On relève par exemple 491 mm à Chiva (Province de Valence). Les cumuls sont remarquables sur une vaste étendue du pays (figure 7).
Les données officielles de la station météorologique de Turís (Région de Valence) sont historiques. La pluviométrie maximale enregistrée en une heure est de 184.6 L/m2, ce qui constitue le maximum historique absolu en Espagne (précédent record : 159 L/m2 à Viaros le 19/10/2018).
OCTOBRE
FOCUS SUR L’ORAGE DU 29/10
Un orage stationnaire impressionnant stagne alors pendant plusieurs heures à Valence et ses alentours, ce sont d’énormes quantités de précipitations qui tombent sur la région. On détecte au satellite un MCC (Complexe Convectif de Meso Echelle) avec un orage en V possédant un point d’alimentation fixe vers Valence (figures 8). L’activité électrique est également impressionnante sous les systèmes.
Un orage en V est un système orageux particulièrement dévastateur car il est stationnaire, il se régénère au même point (point d’alimentation) et déverse des précipitations dans les mêmes zones, et ce pendant parfois plusieurs heures.
4 NOVEMBRE
La goutte froide se résorbe petit à petit (les pressions remontent, la dynamique s’affaiblit), n’empêchant pas une vigilance rouge d’être émise sur les régions espagnoles bordant la Méditerranée. En effet, une vague pluvio-orageuses survient le dimanche 3 novembre sur ces mêmes régions déjà bien affectées et endeuillées. Elle se montre moins puissante que la précédente, mais les sols sont saturés d’eau et l’évacuation est rendue plus difficile.
Sur l’ensemble des épisodes, les capteurs Meteorage détectent :
Les premiers orages préfrontaux balayant le Sud de l’Europe d’Ouest en Est ont été assez électriques (figure 9), avec plus de 100 000 impacts nuage-sol (CG) détectés.
Le plus gros de l’activité électrique survient lors de la forte dégradation orageuse sur le Sud et l’Est de l’Espagne.
Plus de 80 000 CG détectés (figure 10) sur ce secteur, en moins de 24h. On note bien la propagation de la ligne orageuse, allant du Sud-Ouest vers le Nord-Est du pays.
Pour donner une petite idée de l’ampleur de la cellule orageuse la plus intense qui s’est produit entre le 29 octobre à 12:55 TU et le 30 octobre à 21:50 TU autour de Valence en Espagne.
A droite (figure 11) l’emprise totale de la cellule sur toute sa durée de vie soit un peu moins de 9 heures consécutives :
Si l’on s’intéresse au taux de flashs/minute, on atteint des valeurs extrêmement élevées. On détecte même un Lightning Jump aux alentours de 13h10 (figure 12).
Un Lightning Jump correspond à une augmentation rapide de la fréquence des éclairs ou du taux d’éclairs/minute. Il précède généralement de quelques minutes des phénomènes météorologiques violents : tornades, grêle, rafales descendantes, etc.
Cet épisode que l’on peut qualifier de majeur sur le secteur espagnol, a été causé par une dynamique atmosphérique assez classique finalement pour cette saison. En effet, des gouttes froides se logent fréquemment sur la Péninsule Ibérique et des vagues pluvio-orageuses remontent régulièrement en automne sur les pays bordant la Méditerranée.
Alors pourquoi cet épisode était si exceptionnel ?
1.
Les eaux en Méditerranée sont encore particulièrement élevées, avec des anomalies positives concernant la température de surface de la mer (figure 13), les eaux atteignent encore 21°C en surface au large de Valence. Cette eau sert de carburant au développement des orages.
2.
Valence se trouve entourée de montagnes. L’air chaud et humide qui remonte se retrouve donc piégé et est forcé de s’élever en altitude, il va alors rencontrer l’air très froid en altitude. Ce puissant choc thermique conduit à une convection intense.
3.
Une atmosphère plus chaude conduit à plus d’humidité dans l’atmosphère. D’après les lois thermodynamiques, un degré de plus dans l’atmosphère, c’est 7% d’humidité en plus. Plus de chaleur conduit en effet à plus d’évaporation et donc un contenu en eau dans l’atmosphère plus élevé. Ce fort contenu en eau précipitable est potentiellement dangereux lors d’un orage car davantage d’eau va tomber et accroitre la possibilité de crues éclairs plus intenses. Dans le cas de l’orage en Espagne, le contenu en eau précipitable était assez élevé et a favorisé les intenses précipitations observées dans ces régions.
4.
Les sols espagnols et particulièrement en région de Valence étaient particulièrement secs après un été peu arrosé, rendant difficile l’absorption de l’eau par ces sols.
Pour terminer sur ces facteurs aggravants, la configuration de l’orage (orage en V) avec son caractère stationnaire n’a évidemment pas aidé et explique les quantités d’eau impressionnantes tombées sur ces secteurs.
Toutes ces contributions sont indirectement ou directement dues au changement climatique qui accroit ces phénomènes via des rétroactions positives (figure 14). L’augmentation de la température planétaire conduit à un ou des changements d’un paramètre du système climatique, avec des conséquences parfois dévastatrices.